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Texte de la conférence
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Nous avons abandonné notre premier amour (Ap 2)
Charlotte Reynaud écrit un magnifique éditorial dans Paris Notre-Dame.
« Ouvrons les yeux ! ». À l’heure où les révélations s’enchaînent, dévoilant toujours un peu plus ce que l’âme humaine peut porter de noirceur, ce thème des conférences de Carême se révèle une injonction d’une cruelle actualité ».
Charlotte ajoute :
« Ouvrons les yeux. Dieu fait du neuf aujourd’hui » précise le titre invitant à poser un regard d’espérance. Celui qui voit l’action de Dieu aujourd’hui dans sa vie ».
Charlotte précise :
« Mon regard se porte sur Notre Dame. De tout ce joyau architectural, ce n’est ni la flèche détruite, ni les rosaces privées de lumière, signes grandioses de la prouesse des hommes.
Mais la gargouille, humble et laide servante, qui fait seule encore son office.
Crachant son filet d’eau aux jours de grandes pluies.
Sans faire de théologie de la gouttière, conclut Charlotte, il y a quelque chose d’inspirant à considérer que le plus petit des serviteurs n’est pas le moindre. Encouragement à reconsidérer la force de nos plus humbles engagements ».
Chers amis,
Ah ! si les gargouilles de nos cathédrales pouvaient parler.
Elles seraient de redoutables conférencières de Carême.
Elles, que les architectes conçoivent pour rejeter le trop plein.
Et du trop-plein, il y en a en ce moment !
Elles qui captent, de jour et de nuit, la rumeur de la ville au-delà de tout horaire de permanence.
Elles dont la symbolique est à la fois de scruter de si près ce qui est dans l’homme,
mais aussi, de lui rappeler sa propre impuissance à se guérir lui-même.
La gargouille, dans sa mission ingrate et pluri séculaire, a peut-être croisé l’ange de l’Église qui est à Ephèse.
Au chapitre deuxième de l’Apocalypse.
L’ange reçoit injonction d’écrire :
« J’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné ! » (v4)
La phrase ne tombe pas en méconnaissance
du contexte.
Elle n’est pas un coup d’éclat isolé de tout discernement.
L’ange doit d’abord graver :
« Je connais tes actions, ta peine, ta persévérance. Je sais que tu ne peux supporter les malfaisants. Tu as mis à l’épreuve ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas. Tu as découvert qu’ils étaient menteurs ».
En soi, l’Eglise qui est à Ephèse est reconnue pour sa volonté d’abnégation.
Tout le propos abonde en ce sens :
« Tu ne manques pas de persévérance. Et tu as tant supporté pour mon nom. Sans ménager ta peine ».
Si l’on procède à l’audit de l’Église qui est à Ephèse, les constatations sont avantageuses :
Située non loin de l’île de Samos, cette métropole est dotée d’un port artificiel pouvant accueillir de gros bateaux. Elle rivalise avec le port de Milet. Les Romains ne manquent pas de considérer ses atouts d’être reliée aux autres villes clés. Bref, la cité la plus accessible d’Asie par terre et mer. L’emplacement géo économique favorise le développement de l’activité culturelle. Son climat est clément, le sol est fertile. Mentionnons aussi à Ephèse le temple de Diane, et aussi l’amphithéâtre, peut-être le plus imposant qui soit à l’époque. La communauté juive est vivante en ce lieu. On comprend que Paul choisisse d’intensifier son activité missionnaire en cette cité propice.
Paul demeura trois ans à Ephèse (Actes 20,31) ce qui est considérable
parmi l’ensemble de ses séjours apostoliques. C’est dire le soin et l’affection qu’il porte à cette Église.
Grâce à l’école d’un certain Tyrannus, il répand la bonne nouvelle du Christ.
Apollos, quant à lui, n’a pas manqué d’être brillant orateur à Ephèse, même si Priscille et Aquilla lui seront précieux pour ancrer sa prédication en Jésus mort et ressuscité (Actes 18, 26).
Plusieurs de ceux qui avaient pu être séduits par la magie ou le para normal se convertissent à la Bonne Nouvelle.
Bref, Ephèse est dynamique.
On y grandit dans la foi.
On est solidement formés.
On n’y entend pas les moindres orateurs.
« Je ne cesse de rendre grâce à votre sujet lorsque je fais mention de vous dans mes prières » leur écrit Paul (Eph1, 16)
Alors pourquoi cette perte du premier amour déplorée par le Seigneur ?
Et pourquoi nous y attarder en 2023 ?
Permettez que je développe quatre raisons majeures :
1) En toute expérience existentielle, le premier amour, au sens plénier du terme, s’empare de tout notre être.
Je ne parle pas ici du sentiment fugace.
Mais de ce qui nous saisit au plus intime de nous-mêmes. Qui inscrit en nous des dimensions déterminantes. Si les aléas de la vie, nous font abandonner ce premier amour, ou être rejeté par lui, sa mémoire intérieure ne s’efface jamais.
Quoiqu’on dise, quoiqu’on entreprenne comme relecture de soi,
le premier amour a donné et a reçu jusqu’à une implication des êtres qui ne s’oublie jamais au tréfonds de la personne.
Que ce soit dans le consentement mutuel de l’union des époux, que ce soit dans l’amitié et sa profondeur spirituelle, que ce soit dans des vocations spécifiques ordonnées et consacrées. Que ce soit dans des projets impliquant toute la plénitude de l’être. Que ce soit dans des dynamismes relationnels, philanthropiques…est gravé à tout jamais, en la personne, le don de soi dans la réception de la grâce.
« Que Dieu achève en vous ce qu’il a commencé » n’est pas une vaine formule. Elle est attestation rituelle d’un désir et d’une fidélité.
L’écoute des personnes en pastorale et leur accueil au sacrement de la réconciliation sont une de mes grâces ineffables.
On se sent bien petits, quand les récits meurtris et enténébrés de l’âme humaine, nous sont confiés.
De ma longue expérience, je n’ai jamais entendu un frère ou une sœur faisant fi de la mémoire douloureuse de l’amour fondant leur vie.
Fut-ce dans le déni, les stigmates se portent toujours d’une rupture existentielle majeure.
Le cœur écoutant ne doit rien minimiser quand il y va de l’humain en Dieu, et de Dieu en l’humain.
Quand on se met en vérité devant Dieu, on ne peut tricher avec la source vive.
Quoiqu’en disent les esprits relativistes, rien ne peut être banalisé dans un « après » qui ignorerait la blessure vive du premier amour, au sens où nous l’entendons ici.
Augustin est sans doute un des témoins les plus impressionnants de cette affection de notre être.
La brûlure d’amour est perçue par lui avec ce sentiment que l’être ne sera en repos qu’en Celui dont il a toujours la recherche.
« Tard je t’ai aimée, Beauté ancienne et si nouvelle. Tard je t’ai aimée. Tu étais au dedans de moi. Et moi j’étais dehors. Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec Toi ».
Cette clé augustinienne est décisive et parlante à notre anthropologie moderne :
Où étais-tu ? Où étais-je ?
Qu’en était-il de ce que nous ressentions ?
2) Une seconde perspective est à regarder en lucidité. Le premier amour, quand il engendre dans la foi, peut être le lieu le plus sublime, mais aussi le plus dévastateur. Parce qu’il mobilise tout ce que les néophytes ont de « neuf » en eux, il crédite une confiance envers le ou les fondateurs. Confiance aveugle ? Confiance subjuguée ? Les crises actuelles révélant abus et emprises sont indicatives de la terrible instrumentalisation du premier amour. Abuser du zèle et de la générosité sans limites rationnelles peut caractériser des attitudes pionnières. Tout est à neuf. Tout commence. Tout va démentir tant d’autres manières de croire, de célébrer, de vivre.
Les conversions, non encore relues par les personnes, sont ce qui doit être le plus respecté. « Ôte les sandales de tes pieds, car le lieu dans lequel tu te tiens est une terre sainte » (Exode 3,5) Les engagements spirituels sont implications de l’intime de la personne dans son intégrité, et elles sont œuvre de Dieu en elle.
Trahir le premier amour de la relation au Christ peut donc aussi hélas, signifier en avoir pris possession dans l’emprise la plus insidieuse.
3) Notre troisième remarque est corrélée à la précédente. Tout va tellement bien à Éphèse que la vigilance n’est plus entretenue sur ce qui est moteur. « Rappelle-toi d’où tu es tombé. Convertis-toi. Reviens à tes premières actions » insiste l’Apocalypse.
Nous traversons des temps dont le dépouillement est inédit mais salutaire.
Plus aucune parole d’Eglise, dans son expertise en humanité, n’est audible si elle n’est conversion première de la source émettrice.
Les gens n’attendront plus rien de nous, si nous ne commençons à vivre ce que nous prêchons.
Nous avons oublié que c’est notre fragilité qui nous donne de communier aux attentes de l’humain. Nous avons oublié que nous sommes sacrement de Celui qui sauve, et en aucune façon, sauveur à la place du Sauveur.
Tout va bien quand on s’analyse soi-même. Ou, plus exactement, tout va à l’aune de nous-mêmes. Saint Bernard nous avertit : « Celui qui se prend pour son propre maître, celui-là est un sot ». On comprend pourquoi le Pape François insiste tant contre ce qu’il appelle l’auto référentiel. A ne se considérer qu’en miroir d’elle-même, la vie apostolique la plus dynamique peut se dessécher de l’intérieur et ignorer ce qui doit se convertir en elle. Oui, prenons garde à tout ce qui nous auto réfère.
4) Ces trois insistances nous mènent à la qualification de ce premier amour. Cet « amour d’antan » propose une traduction biblique. Cette « première charité », en suggère une autre. Ce surgissement initial.
Cet élan premier. Cet Agapé fondateur.
L’aurions-nous perdu ?
L’avons-nous abandonné ?
Nous avons vu dimanche dernier, que le nombre d’années n’était pas le seul critère éclairant l’usure.
Il nous faut aller plus loin.
Il ne suffit pas, en effet, de « booster » comme l’on dit familièrement, de booster l’expression de sa foi pour qu’elle soit ardente.
Sans conversion, il n’y a pas âme qui vive.
Sans retournement, il n’y a pas joie, fruit spirituel authentique.
Sans imploration, il n’y a pas renouvellement.
Dieu fait du neuf aujourd’hui, dans les cœurs qui se laissent réconcilier par sa grâce.
Dieu fait du neuf aujourd’hui, dans ceux qui deviennent ambassadeurs de sa réconciliation.
Ambassadeurs, non porteurs de mallette.
Mais ambassadeurs d’un amour blessé dans l’écharde paulinienne, et soignés par le baume de la paix divine.
On ne donne que ce que l’on reçoit.
« Nous sommes tous malades » disait François de Sales en précurseur de nos crises, et dans l’incarnation des tempêtes de son siècle.
« Genève, mon Église est une barque fracassée ».
« Nous sommes tous malades et l’Eglise est l’apothicaire. Les sacrements sont les médicaments » complétait-il.
N’entendons-nous pas le Pape François qualifier l’Église d’hôpital de campagne ?
Puisse ce Carême nous retourner vers la certitude que l’apothicaire est d’abord pour nous. Vous et moi.
Nous avons abandonné notre premier amour. Plus je prie sur cette expression, plus je me sens incité à vous convier auprès de saint Newman.
Dans la justesse théologique qui était sienne, il lisait, en cet amour fondateur, la ferveur !
Écoutons-le :
« Ô puissé-je ne jamais perdre, à mesure que les années passent, que le cœur se ferme, que toute chose devient un fardeau, puissé-je ne jamais perdre ce jeune, cet ardent, ce vivant amour pour toi »
Oui, le jeune amour newmanien est ferveur.
Et cette ferveur ne peut brûler en soi si elle n’est invoquée. Cherchée, creusée en sa source.
La quête de Newman résonne d’une intense actualité :
« Je te demande, Seigneur, la ferveur.
Elle est le couronnement de tous les dons et de toutes les vertus.
En demandant la ferveur, Seigneur, je demande la force. La constance. La persévérance. Je demande la foi, l’espérance et l’amour. En demandant la ferveur, je demande à être délivré de toute crainte et de tout désir d’être loué.
Je demande le don si doux de la prière.
Je demande à la fois la sainteté, la paix, la joie ».
Newman nous introduit au cœur nucléaire de cet Agapé :
« Seigneur en Te demandant la ferveur, je Te demande toi-même. Je ne demande rien d’autre que Toi, ô mon Dieu qui T’es donné entièrement à nous.
Entre dans mon cœur et remplis-le de ferveur. En le remplissant de Toi.
Toi seul peux remplir le cœur de l’homme comme Tu as promis de le faire.
Tu es la flamme vivante qui brûle d’amour pour les hommes. Entre en moi, pour que je sois semblable à Toi. Enflamme-moi de Ton feu ».
Pour qui connaît un tantinet Newman, on ne peut le suspecter de chercher dans cette prière la dérobade à ce qui relève de la responsabilité, de la lucidité, de la réactivité.
Ce qui est fort et décisif, en la demande de Newman, est que la ferveur « n’est rien d’autre que Toi ».
Rien d’autre que Celui qui n’aliène jamais la liberté intérieure, mais vient chercher l’homme à la fine pointe de son âme.
La brûlure d’amour, la ferveur première sont passées au creuset de la pauvreté humaine.
L’abandon du premier amour ne se discerne avec justesse que dans l’abandon filial.
Newman, et tant d’autres inconnus, les saints de la porte d’à côté de chez nous, sont comme le grain de blé moulu, archi moulu à l’expérience.
À l’épreuve de la persévérance.
À la dépossession de soi.
Au martyre de la communion.
À la fraternité si précaire et tant attendue.
Vous comprenez, chers amis, mon insistance sur l’abandon du premier amour.
Nous sommes souvent comparables à l’Église qui était à Éphèse.
Et comme nos aînés dans la foi.
Notre détestation du mal ne nous préserve pas d’y succomber.
Écoutons le verset 6 d’Apocalypse 2 :
« Pourtant tu as cela pour toi que tu détestes les agissements des Nicolaïtes. Et je les déteste moi aussi ».
Vient alors au verset 7 ce qui devrait être notre leitmotiv :
« Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises ».
Je n’entre pas ici dans le détail de l’historicité du nicolaïsme.
Je note surtout, pour notre route de 2023, qu’il est un dualisme radical.
Sa détestation ne suffit pas à en être préservé.
Tout dualisme est fossoyeur de la vérité dans la liberté.
C’est au cœur de l’homme que se situe la ligne de crête.
Il n’existe pas une illusoire ligne Maginot de la performance.
C’est en nous que se livre le combat.
Ah ! si Ephèse écoutait ce que l’Esprit dit aux Églises.
Ah ! si nous écoutions l’Esprit qui suscite la nouveauté.
L’emprise et les abus commencent quand quelqu’un, ou quelqu’une, vous éblouit comme les lapins devant les phares de voiture.
Cette illusoire perfection est dévastatrice.
Elle séduit sur le faux.
Elle ne peut que nuire.
La détestation du mal, quand elle est prêchée par « plus pur que pur », est un paganisme. Une perversion de la générosité.
Elle n’est pas du ressort de l’évangile. Convertis-toi, et crois à l’amour.
Commence à vivre ce que tu prêches !
Un de mes prédécesseurs à la chaire du Carême de Notre-Dame s’est rendu percutant sur cette conversion.
Le Père de Ravignan.
Lacordaire disait de lui :
« Pour moi, la foule monte peut être sur les confessionnaux pour me voir et m’écouter ; le Père de Ravignan lui, fait entrer les gens dans les confessionnaux, pour leur conversion ! ».
N’est-ce pas l’urgence apothicaire, chers amis !
Le Père de Ravignan dit dans sa prière :
« Seigneur, combien de fois ai-je oublié la grandeur de votre miséricorde ? L’innocence et la pureté de mes premières années, que sont-elles devenues ? Je suis faible et infirme. Vous me relèverez. Appuyé sur vous, j’espèrerai encore ! ».
Appuyé sur toi, j’espèrerai encore !
La trahison du premier amour n’est pas seulement dans son abandon.
Mais elle est de ne le voir que chez autrui.
Dans l’œil du voisin, sans jamais reconnaître la poutre de notre suffisance.
Vous avez bien perçu que Dieu s’adressant à Ephèse ne met pas en question sa constance.
Il reconnaît même :
« N’as-tu pas souffert pour mon nom sans te lasser ? »
Allusion à une persécution passée.
C’est peu dire que les mérites d’Ephèse sont grands.
Mais le Carême n’est pas une méritocratie.
Il est chemin de cendres.
Il est une montée vers la Jérusalem du plus grand amour.
Ce que Dieu désire est un amour qui ne passera jamais.
Dieu n’attend pas la cymbale retentissante redoutée par St Paul aux Corinthiens
Mais un amour de dilection qui a sa source en Lui.
Un amour qui se diffuse en fraternité.
Fratelli tutti !
Et non bruyante démonstration !
Deus caritas est !
Et non Manipulation égoïste.
« Ubi caritas et amor
Ubi caritas Deus ibi est ».
Est-il un groupe de jeunes ou d’adultes reprenant ce chant sans déjà en faire expérience ?
Notre prédication ce soir, n’est donc pas celle de la rétro vision.
Le « premier amour » n’est pas dans la nostalgie idyllique.
Le premier amour est encore à naître.
Il est encore et toujours à consentir.
Il est et sera toujours premier, si nous considérons être aimés par Dieu avant de l’aimer.
Il est et sera toujours premier, si la conversion en est la boussole.
Parmi tant de sources dont Dieu a le secret, j’insiste sur une d’entre elles :
La grâce du sacrement de pénitence et réconciliation.
Tant de choses ont été dites sur ce sacrement. Le lieu n’est pas ici de l’ausculter dans sa pratique sociologique. Le lieu n’est pas ici d’en refaire toute la théologie.
Mais de dire combien le premier amour s’y confesse.
S’y confesse dans la double acception.
Confession d’un amour reçu de Dieu.
Confession d’une brisure si douloureuse venant de nous.
Chers amis, venez à la source !
Considérez la petite Thérèse de Lisieux si joyeuse quand elle quittait l’entretien sacramentel.
Si légère et toute renouvelée.
« Ma vocation dans l’Eglise, c’est l’amour ».
Frères et sœurs, décomplexons notre lien à ce sacrement vivifiant.
Il nous en coûte indéniablement d’erreurs objectives ou de perceptions plus diffuses au sujet de la finalité profonde de la pénitence et de la réconciliation.
Qui nierait les maladresses psychologiques ou pastorales, malmenant le don de cette rencontre ?
Qui nierait les réticences de notre être, soit à l’épiderme soit aux profondeurs phréatiques ?
Raison de plus pour en revisiter les fondements.
Et non en visiteurs de musée.
Mais en fils de Dieu. En frères des hommes.
Venant chercher la lumière auprès de Qui connaît l’homme mieux que lui-même.
Une des motions invitatoires du Rituel de la Réconciliation propose au prêtre de dire à la personne qu’il accueille :
« L’Esprit Saint vous a conduit jusqu’ici. Demandons-Lui de nous éclairer l’un et l’autre pour célébrer en Église le pardon du Seigneur ».
Y a-t-il pédagogie plus parlante ?
Y a-t-il plus belle façon de dire Dieu « faisant le neuf » en nous, tandis que nous ne le voyons pas encore ?
Mais tandis que nous sommes déjà sur le chemin.
L’Esprit Saint nous a guidés jusqu’à cette ineffable joie.
L’Esprit va éclairer l’un et l’autre.
Il s’agira de célébrer, et non de tenir tribunal.
Il s’agira du pardon en Église, et non d’une introspection repliée sur soi.
Dieu fait du neuf en quelqu’un !
Le ciel s’en réjouit. Et comment !
« Il y aura joie dans le ciel sur un seul pécheur qui se convertit, plus que sur 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion ». Luc 15,7
Chers amis, ne nous volons pas cette joie du ciel.
Ne nous volons pas cette joie dès cette terre.
« Qui pourrait bien être ce juste qui n’a pas besoin de conversion ? » interroge Sœur Jeanne d’Arc.
Peut-être celui qui refuse la nouveauté venue de plus profond que lui.
Dieu fait du neuf dans le retournement des cœurs.
La grâce de la réconciliation se lit sur les visages quand les cœurs sont rénovés.
Il nous incombe d’en témoigner.
Il nous incombe d’accueillir nos frères à cette pastorale, dans la justesse et la vérité.
Écoutons St François de Sales, rédacteur d’un Mémorial aux confesseurs, mais surtout, (surtout !) confesseur de miséricorde, grand écoutant du cœur de l’homme :
« Souvenez-vous, écrit-il, que les pénitents au commencement de leurs confessions vous nomment Père.
Et qu’en effet, vous devez avoir un cœur paternel en leur endroit. Les recevant avec un extrême amour. Supportant patiemment leur rusticité et autres imperfections, ne vous lassant jamais de les aider et secourir tandis qu’il y a quelqu’ espérance d’amendement en eux ».
« Consoler autrui. Ne pas le désespérer » est son axiome.
« Jésus Christ notre Maître n’eût jamais destiné les hommes pour être confesseurs, s’ils n’eussent été pécheurs. Or, les confesseurs, étant eux-mêmes pécheurs, ils sont obligés d’être humbles, débonnaires et de se ravaler avec les pauvres pénitents par une douce condescendance. Cependant, c’est ce que la plupart des pères spirituels ne savent point faire, et je m’en étonne. Car la pierre de touche d’un parfait confesseur est qu’il soit pitoyable au vice d’autrui et implacable au sien propre. La véritable piété a toujours de la compassion. La fausse n’a que de la barbarie ».
Peut-on être plus clair ?
Peut-on mieux exprimer, voici quatre siècles et dans le contexte du Concile de Trente, sous la clairvoyance d’un Saint, ce qui peut dériver terriblement ?
François de Sales a raison.
Tant de pères spirituels croient savoir s’y prendre, et devraient commencer par cette réception novatrice en eux-mêmes.
« Recevoir avec un extrême amour » est la clé. Dieu fait du neuf, quand on est serviteurs de son action.
Jean-Paul II, dans son art de relier la phénoménologie et le témoignage, avait mis en exergue un paradoxe humain :
« La mentalité contemporaine semble s’opposer au Dieu de miséricorde. Elle tend à éliminer de la vie et du cœur humain, la notion même de miséricorde. Le mot et l’idée de miséricorde semblent mettre mal à l’aise l’homme qui, grâce à un développement scientifique et technique inconnu jusqu’ici, est devenu maître de la terre. Cette domination unilatérale et superficielle ne laisse pas de place semble-t-il à la miséricorde ».
Pourtant, note Jean Paul II :
« Bien des hommes et bien des milieux, guidés par un sens aigu de la foi, s’adressent quasi spontanément à la miséricorde de Dieu » (Dives in misericordia 2)
Depuis le propos de Jean-Paul II, l’évolution cosmologique et civilisationnelle s’est fragmentée, fracassée sur des défis inédits.
Le paradoxe, très bien repéré, s’est comme accentué et déplacé.
L’homme se découvre être un piètre maître du monde. Les convulsions climatique, sanitaire, géopolitique, sociétale le submergent.
Le paradoxe était de congédier tout recours à la miséricorde et d’en constater pourtant la nécessaire expression.
Le paradoxe devient tension féconde.
L’homme ne se sauvera pas de lui-même.
Il lui faut encore percer le mur d’airain de sa suffisance.
Nous ne sommes rien les uns sans les autres. Nous ne sommes rien sans nous recevoir d’un Autre.
La trace de Dieu vient comme se lire en autrui, dès lors qu’autrui nous importe.
Le premier amour, dont nous cherchons en ce dimanche la signification, s’inscrit dans ce paradoxe.
On ne va pas vers les fins dernières sans être ressourcés en lui.
Plus nous avançons, plus nous découvrons nous être encombrés.
On ne va vers l’horizon ultime, qu’en se délestant.
Le premier amour n’est pas la reviviscence de ce qui était vieux et devait mourir en nous.
Il est naissance. Il est le « déjà là »et le « pas encore » du Royaume.
Il est horizon eschatologique.
Il est au milieu de nous.
« On ne dira point il est ici, il est là »
J’aime la façon avec laquelle Jésus, en St Luc, nous dissuade d’épier le Royaume. Épier le royaume comme on épie un suspect, comme on traque quelqu’un. Comme si le Royaume se détectait dans la boule de cristal :
« Il est au dedans de nous au milieu de nous » suggèrent les traductions.
Newman l’avait bien énoncé :
Il n’est autre que Toi Seigneur.