Troisième conférence de Carême 2023 : « Elle est vivante la Parole »

 

 

 

Reproduction papier ou numérique interdite.

Elle est vivante la Parole ! (Hb 4)

Comme en tout corps de métier, les premiers mois d’ordination nous marquent pour la vie.
Je n’oublierai jamais ma visite à une famille très pauvre, en même temps lumineuse d’un amour très riche.
Ces gens ne m’attendaient pas.
La précision est importante.
Elle valorise d’autant plus ma découverte.
Entrant dans cette maison, il y avait une Bible bien en évidence.
Au cœur du foyer.
Une Bible pas du tout décorative.
Lue, relue, usée par sa fréquentation.
Bénéficiant d’une vénération.
Cette expérience demeure gravée en moi.
D’humbles personnes familières de la Parole.
D’humbles personnes pétries de l’Ecriture.
Comment ne pas s’unir à la prière de Jésus en St Luc : « Je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants.
Et de l’avoir révélé aux touts petits. Oui Père, c’est ainsi que Tu en as disposé dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connait qui est le Fils, si ce n’est le Père. Ni qui est le Père, si ce n’est le Fils. Et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (10,21)
Si vous avez le privilège de visiter l’Eglise en France, comme j’en ai le bonheur, vous la croisez éprouvée, affectée, sonnée, sidérée.
Mais aussi résiliente dans sa dignité baptismale, et ravivée par la fraîcheur catéchuménale, les JMJ, par la Parole.
C’est étonnant comme les petits groupes bibliques, çà et là, sont le meilleur antidote à l’hémorragie du grand corps.
C’est étonnant comme la Parole réconforte, nourrit, éclaire, réunit.
C’est étonnant comme la Parole donne de se parler, là où les mots ne se trouveraient plus.
« Les mots de Dieu ont retenti en nos langages d’hommes. Que sa Parole en nos cœurs à jamais nous délivre »
est l’inusable cantique.
Les mots de Dieu ont retenti aussi dans la synagogue de Nazareth.
C’est le moins que l’on puisse dire !
N’est-ce pas le fils de Joseph qui, selon son habitude, se lève pour lire la Torah ?
On lui remet le livre du prophète Isaïe.
Il déroule le rouleau (Luc 4,17ss)
Il trouve le lieu où est écrit : « L’esprit du Seigneur est sur moi. Il m’a consacré pour annoncer la Bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération ».
Tous les yeux sont braqués sur ce lecteur qui est bien du pays, lui-même pressentant qu’il ne sera pas prophète chez lui.
« Aujourd’hui cette parole est accomplie à vos oreilles ».
Les habitants de Nazareth, d’abord étonnés de ses paroles de grâce, ne tarderont pas à entrer en fureur contre lui.
L’aujourd’hui de la Parole ne trouverait grâce à leurs yeux que si Jésus faisait à Nazareth les prodiges qu’il accomplit ailleurs, et même davantage.
La notoriété de Nazareth y gagnerait.
Mais Jésus leur devient irrecevable.
La veuve de Sarepta et le lépreux syrien, pris en exemple par Jésus, ne peuvent que les mettre hors d’eux-mêmes.
Le fils de Joseph prophétiserait chez nous, comme la veuve et comme le lépreux ?
Hors de notre référence, peut-il venir quelque chose d’audible ?
Qu’on le précipite hors de la ville !

Dieu fait du neuf !
Jésus n’est pas seulement un bon lecteur au sens de l’expression vivante.
Il est ce qu’il proclame en la synagogue.
Il est qui il prêche. Il prêche qui il est.

Chers amis, dans nos deux précédentes rencontres, nous avons entendu un appel à naître et un appel à repartir du premier amour.
Cette semaine. Il nous est donné d’être visités par Lui.
Le Verbe est nouveauté de Dieu ! Le Verbe était Dieu (Jn 1)
Nazareth ne reçoit pas l’un des siens, car Nazareth veut le conformer à la stricte répétition de ce qui est déjà.
Nazareth se ferme au surgissement nouveau.
Nous sommes souvent des Nazareth ayant encore à dessiller notre regard.
Nous tournons sur nous-mêmes et ne laissons pas advenir.
Jésus ne peut être prophète si la brèche ne s’ouvre tout entière à sa nouveauté.
Le Christ ne sera pas le colporteur d’une nième bonne nouvelle.
« Il est Bonne Nouvelle. »
Il est venu de Dieu et va vers Dieu.
Sa vie et son ministère ne sont pas une prédication parmi d’autres.
Sa vie et sa mission sont l’exégèse même de ce que Dieu réalise en Lui pour le monde.
En ce sens, sa mère et ses frères seront ceux qui écoutent sa parole et la mettent en pratique (Luc 8,21)

Dieu fait du neuf. Ouvrons les yeux !
L’aujourd’hui de cette nouveauté est bouleversant à qui veut bien le reconnaître.
L’aujourd’hui du salut est une récurrence en saint Luc qui veut forcer la porte de notre morosité :
« Je vous annonce une grande joie pour tout le peuple. Aujourd’hui, un Sauveur vous est né » (Luc 2,11)
« Tu es mon fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré. (Luc 3,22)
« Aujourd’hui cette parole est accomplie par vous qui l’entendez » (Luc 4,21)
« Nous avons vu aujourd’hui des choses extraordinaires » (Luc 5,26)
« Voici je chasse les démons, j’accomplis des guérisons, aujourd’hui et demain. Le troisième jour, c’est fini » (Luc 13,32)
« Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison ; car lui aussi est un fils d’Abraham » (Luc 19,9)
« En vérité je te le dis : aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23,43)

De la mangeoire au bois de la Croix, l’aujourd’hui est signifié en Jésus, et par Lui.
Ces quarante jours ouvriront-ils nos yeux à la perception de cette fécondité salvifique ?
Benoît XVI, en son encyclique sur l’espérance, interroge notre accueil du message du salut : est-il pour nous performatif ou informatif ?
Performatif, c’est-à-dire venant nous transformer au plénier de nous-mêmes.
Ou purement informatif, c’est-à-dire une nouvelle parmi de multiples. Une information n’ayant d’autre signification que ce qu’on lui accorde.
Performatif, si toute notre personne est rénovée par le recouvrement de son centre de gravité.
Informatif, si la chose demeure extérieure et ne consent aucune perméabilité.
La nouveauté que nous voulons commenter, de dimanche en dimanche, est naissance du Verbe en nous.
Elle est, disent les théologiens, axe structurant de l’économie trinitaire.
« Je suis crucifié avec le Christ. Ce n’est plus moi qui vis ; mais le Christ qui vit en moi » dira Paul aux Galates.
Chers amis, ouvrons-nous à la naissance du Logos en nous !
Jean-Baptiste Lecuit nous rappelle deux aspects convergents : d’abord premièrement, le Logos procède du cœur du Père en une naissance éternelle ; en second lieu, dans le baptême, par l’Eglise, le croyant nait à nouveau à une vie, dans la ressemblance au Christ.
Alors, oui, il est compréhensible et remarquable qu’émerge dans la théologie la pensée de la naissance du Logos dans le cœur des croyants.
« Le Verbe qui était dès le commencement, renaît toujours jeune dans le cœur des saints » diront les Pères de l’Eglise.
Origène vient nous réveiller dans la somnolence de notre sieste : « Ne sais-tu pas que, de cette semence de la Parole de Dieu qui est semée, le Christ naît dans le cœur des auditeurs ? ».

Le Christ nait dans le cœur des auditeurs, dans la communication du mystère que nous partageons ce soir.
Tout l’entraînement du Carême est un moment favorable à cet accueil en nous de la semence engendrant la sanctification.
Comme dit St Paul « jusqu’à ce que le Christ soit formé en nous ! ».

Mais, me direz-vous « quoi de neuf dans la Parole ? » Et comment aiguiser notre regard à l’accueil de cette nouveauté ?
Ici, j’insisterai sur quatre aspects :

1) C’est le désir même de Dieu que sa Parole soit donatrice de vie ! Isaïe le clame en 43 :
« Dieu fera passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides ». La nouveauté venue de Dieu est son dessein. Son effectivité est donc perceptible. Mais elle n’est encore qu’en germe. Pour cela il faut accueillir ce Dieu comme celui qui est Dieu. « En dehors de Moi pas de sauveur ! »
nous dit le verset 11. Ce Dieu ainsi énoncé par Lui-même donne comme signature de sa divinité deux dimensions complémentaires : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ! » v 4 et « Ce peuple, que je me suis façonné, redira ma louange ».
Dieu fait du neuf, se vérifie dans le refus de l’homme à « ressasser les événements du passé. Ou songer aux réalités d’autrefois ».
La nouveauté à discerner, c’est d’être peuple façonné par ce Dieu sauveur, à l’inestimable prix venu de son Amour.
Ce peuple sera désaltéré, parce que choisi.
Le surgissement de vie et de nouveauté est un dessein d’amour.
Isaïe associe le « Écoutez et vous vivrez » ch 55, à la recherche de Dieu « tant qu’il se laisse trouver ».
On comprend à quel point cette dynamique traverse les siècles.

Frères et Sœurs, la nouveauté qui émane de ce Dieu, n’est pas celle de nos catégories. Comme si nos facultés cognitives disaient que quelque chose est neuf dans un logiciel nouveau. La nouveauté de Dieu est d’être cherché tant qu’il se laisse trouver…« Ainsi, ma parole qui sort de la bouche ne me reviendra pas sans résultat. Sans avoir accompli sa mission » (55,11)
Notre mystagogie, notre initiation au mystère de Dieu est vivifiante dans la recherche insatiable de qui l’on a trouvé, en le cherchant toujours.

2) D’où le second aspect mis en exergue par Ephrem le Syrien. Diacre et docteur de notre Église. Puisatier de la Parole, Ephrem partage son expérience : « Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d’une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons ».
Remarque très aiguë pour notre aujourd’hui :
« Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu’il y a seulement dans la Parole de Dieu ce qu’il y trouve ».
Nous nous croyons détenteurs d’une maîtrise de la Parole, comme si elle se laissait enfermer.
« Enrichi par la Parole ne crois pas que celle-ci s’est appauvrie ! Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source ».

Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas ici d’accueillir avec passivité et de façon éthérée, le contenu des Écritures. L’exigence est toute autre. « Scrutons les Écritures demande ce Père du désert. Non dans une frivole lecture. Mais à rechercher, examiner, étudier, les profondeurs de leurs sentences. Dieu désire vérifier si tu sers les Écritures, ou si tu leur fais violence ».
Nos débats, nos discussions, nos choix ne doivent pas être creux et tièdes.
Mais leur animation doit être servante de la grâce des Écritures sans cesse en herméneutique, sans cesse en dévoilement, jusqu’à ce que tout soit récapitulé en Christ.
Leur animation, vive et légitime, ne doit pas instrumentaliser la Parole !

3) D’où la troisième condition, dont nous nous croyons à tort dispensés.
Il nous faut demeurer au jardin des Écritures. Quel défi pour un monde qui zappe et croit que Goggle est le salut du monde. Le bienheureux Guerric d’Igny est explicite : « Garde-toi de traverser ce jardin d’un vol rapide. Comme les abeilles diligentes, recueille le miel des fleurs.
Recueille l’esprit dans les mots ».
Le motif n’est pas ici de butiner pour butiner.
« Tu ne te trompes pas, croyant posséder dans les Écritures la vie !.
Toi qui ne cherches rien d’autre que le Christ auquel les Écritures rendent témoignage. Bienheureux assurément ceux qui scrutent ces témoignages et le cherchent de tout leur cœur ».
ChatGPT et tant d’autres supports, ne peuvent faire lectio à ta place, cher auditeur !
Ils te déverseront quantité de références synoptiques sur la nouveauté de Dieu.
Ils te simuleront avec relief une intelligence artificielle de la quête de Dieu.
Mais ils ne pourront se substituer à ta Lectio.
Ils ne pourront remplacer le cri de ton cœur affamé.

Alors oui, chers amis, recueillons cette nouveauté !
Non comme le listing de références tombées du dictionnaire.
Non comme la démonstration ne faisant que satisfaire la curiosité.
Mais comme Dieu se disant.
Et ne pouvant mieux se dire !
« Je mettrai en vous un esprit nouveau ! » a promis Dieu au cœur des rugosités et des sécheresses. Ezéchiel pourrait être le plus mortifère des rendez-vous. Il n’en est rien. Dieu veut que nous vivions ! (Ez 36,26).
Revêtir l’homme nouveau, comme l’épître aux Ephésiens en parle avec splendeur (Eph4, 24), passe par le dépouillement du vieil homme dont l’épître aux Colossiens dit l’incontournable (Col 3,10).
Alors oui, des événements nouveaux peuvent se révéler comme Isaïe en était annonciateur. (Is 48,6)
On comprend pourquoi le diacre Philippe rencontrant l’éthiopien sur son char plongé dans la lecture du prophète Isaïe, ne peut que lui partager la bonne nouvelle qu’est Jésus ! (Ac.8)
Partant du texte du serviteur souffrant, Philippe est exégète et annonciateur de Jésus.
« Comprends-tu vraiment ce que tu lis ?
Comment le pourrais-je si personne ne me guide ? ».
L’humilité du lecteur est à la mesure de l’exigence de l’amour. Comprendre vraiment !
Et pour cela, ne jamais esseuler la justesse de sa compréhension. Ne jamais s’enferrer dans la certitude possessive.
« Vous avez entendu qu’il a été dit… moi je vous dis ».
La nouveauté qui est promesse prophétique n’est pas couture d’une pièce neuve sur le vieil habit (Mc 2,21).
Elle est neuve dans le sang d’une alliance nouvelle. Ceci est mon sang, sang de la nouvelle alliance.
Ce qui se rénove n’est pas la nième restauration dont nous aurions à nous rassurer.
Ce qui est neuf est en Celui qui accomplit toute chose.
Du commandement ancien, dont nos cœurs croient trop souvent être détenteurs, s’écrit le commandement vraiment nouveau (1 Jn 2).

4) Mes trois remarques précédentes seraient vaines, si elles ne suscitaient la quatrième. Je l’illustre par cette magnifique histoire recueillie chez les Pères du désert.
L’un d’eux, et non le moindre, cherchait le sens d’une parole de Dieu. Sa quête était sincère, harassante. Décevante cependant.
Rien ne venait. Le sens ne s’éclairait jamais.
De dépit, il se leva de sa table et quitta sa cellule monastique dans l’intention d’aller consulter ses frères sur ce sens introuvable.
Un ange le croisa dès sa sortie de lui-même.
Et sans plus attendre, il lui fit don de la lumière qui manquait.
Le messager céleste avait la mission d’offrir la chose tant cherchée et qui ne se révèle pas ailleurs que dans la sacramentalité d’une réception commune.
Merveilleux récit.
Le fait d’aller vers l’autre quémander sa lumière plaisait tant à Dieu.
Le fait de sortir de soi.
Le fait de recevoir la Parole, les uns des autres.
Nous ne sommes rien les uns sans les autres, avons-nous souligné à plusieurs moments de ces Conférences.
Vivante est la Parole dans l’action qu’elle suscite de frères à frères !
Voulons-nous une intimité de la Parole qui féconde une fraternité dans la Parole ?
Prenons Thérèse de Lisieux.
Son entourage n’a de cesse de se réjouir de sa profonde joie d’Evangile.
Je cite l’Abbé de Mondaye qui préfaça l’histoire d’une Âme : « N’est-ce pas merveille de voir comment une jeune fille de vingt et quelques années, se promène avec aisance dans le vaste champ des Écritures inspirées pour y cueillir d’une main sûre les textes les plus divers et les mieux appropriés à son sujet ? ».
Mais Thérèse n’est aucunement animée de ce souci de faire de l’Ecriture le sésame d’une brillance !
La Parole n’est pas là pour l’introduire dans la cour des louanges.
Écoutons la : « Je comprends, et je sais par expérience que le Royaume de Dieu est au dedans de nous (Luc17,21). J’ai remarqué bien des fois que Jésus me nourrit à chaque instant d’une nourriture toute nouvelle. Je la trouve en moi sans savoir comment elle y est ».
Nous sommes aux antipodes de l’étalage d’un savoir.
Je comprends et je sais par expérience !
Jésus me nourrit d’une nourriture toute nouvelle.
Il le fait à chaque instant.
L’immense Teilhard de Chardin pourra dire :
« Thérèse, c’est le cas typique de renversement en oméga ! ».
Dieu fait du neuf si nous consentons à être renversés en Oméga.
Celui qui nous mendie est le Verbe éternel écrit Thérèse dans sa poétique.
Ne soyons donc pas surpris que toute sa synthèse sapientielle, comme disait Jean Paul II, soit Jésus !

J’ai commencé cette conférence en me réjouissant d’une famille humble assidue à la lecture de la Parole.
Je voudrais dire ici l’urgence de cette attitude pour 2023.
Nos rencontres synodales en sont l’illustration.
Quand elles ne s’abreuvent pas à la Parole, elles tournent court.
Quand elles s’offrent au tranchant vivifiant de la Parole, elles deviennent libres, rénovées, priantes, forces de propositions. Une réunion synodale aura-t-elle la sagesse de puiser par exemple en Actes 15, de quoi expérimenter l’âpreté nécessaire de la discussion, mais toujours dans l’écoute du Frère, et sous la mouvance de l’Esprit ?
La Parole ne nous tire surtout pas du réel.
Elle vient y accomplir avec nous la tâche du discernement.
Écoutons Hébreux 4 : « Elle est vivante la Parole et énergique. Plus affilée qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à la séparation de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur. Il n’est pas de créature qui échappe à sa vue : tout est à nu à ses yeux, subjugué par son regard. C’est à elle que nous devons rendre compte » Heb 4,12

Nos notes bibliques nous disent que les possessifs exprimés dans le verset 13 peuvent être rapportés à Dieu, au lieu de l’être à la Parole. En grec le logos (parole) est au masculin tout comme Theos Dieu.
C’est donc à Lui que nous devons rendre compte.
Dans mon ministère, j’ai eu la joie d’introduire à Lille une conférence que donnait le Cardinal Vanhoye sur l’épître aux Hébreux. En écoutant son exposé, je compris pourquoi ce serviteur si humble avait voué sa vie à la compréhension de l’Epitre aux Hébreux !
Voici comment Albert Vanhoye unifie la mission du Christ à notre vie :
« L’offrande du Christ à Dieu est Amour extrême pour tous les hommes. Toute distance qui séparait l’homme de Dieu est comblée. Il y a une unité étroite entre Parole de Dieu et Sacerdoce du Christ. Oui, c’est le ministère de la Parole du Christ comme très actuel. Le Christ nous transmet la parole divine capable de nous sauver. D’un culte qui était forcément extérieur, inefficace, marginal par rapport à la vie, le Christ nous fait passer à une offrande qui prend toute la réalité de notre existence et la transforme profondément. Dans l’adhésion filiale à Dieu et la fraternité ! ».
Voilà pourquoi la Parole nous saisit tout entier et nous met à nu !
L’expression du verset 13, « tout est subjugué par son regard » est à entendre comme le verbe grec du lutteur qui s’avère vaincu par l’amour. Oui il y en nous le combat à livrer.
La lutte est âpre comme peut l’être ce sport olympique. Le combat de Jacob en donne toute la dimension existentielle.

Chers amis, ce que Dieu veut créer en nous est une transformation plénière à laquelle le vieil homme, et les scories de son cœur veulent opposer résistance.
Le combat se livre en nous. François de Sales insiste sur la fine pointe de l’âme au cœur de laquelle se joue le basculement.
« Qui gagne le cœur de l’homme, le gagne tout entier » dit-il pour l’apostolat.
Mais aussi, ô combien, dans cette réception de la Parole tranchante et énergique.
Bernanos fait dire à un de ses personnages :
« Le diable, c’est l’ami qui ne reste pas jusqu’au bout ! ».
Nous pouvons avoir effectivement une lecture tranquille de l’écriture. Une vision édulcorée et arrangeant bien nos projets.
Ce faux ami ne reste pas jusqu’au bout.
Notre pèlerinage sur la terre, notre croissance spirituelle ne peuvent se réaliser dans cette complaisance.
Il nous faut consentir au tranchant de la Parole.

Dieu fait du neuf si nous consentons à désencombrer le vieil homme de ce qui doit être mis à découvert de l’Amour.
Pour cela, il n’y a pas de programmation spectaculaire et clinquante.
C’est « pied à pied » dit Saint François de Sales que le cœur se dilate.
Pied à pied.
Verset par verset.
Dans l’humilité de la lectio.
Dans la discrétion de l’oraison.
Dans le scriptorium des monastères.
À l’ouverture de la réunion paroissiale.
Dans une révision de vie.
Par le podcast dans la voiture.
Dans la maison familiale.
Aux prochaines journées mondiales de la jeunesse.
Dans le silence de l’intimité. Dans la solennité des cathédrales.
L’humilité de l’accueil des mots de Dieu venant à nous aux nappes phréatiques que nous ne soupçonnons même plus.
Depuis des siècles l’enseignement de Rachi, juif français ayant vécu à Troyes de 1040 à 1105, a marqué l’accueil talmudique de la saveur des mots.
D’hier à aujourd’hui, la transmission Chrétienne de nos Pères dans la foi irrigue nos cœurs.
Noël Quesson pasteur et prédicateur angevin, visage familier des publics paroissiaux disait :
« Quand tu lis l’Écriture, tu entends quelqu’un, bonne nouvelle pour ta vie aujourd’hui ».

Vous comprenez, chers amis, mon insistance à naitre et renaître du dedans de la Parole. Elle n’est surtout pas une dérobade aux responsabilités immenses qui sont celles de l’humanité et de l’Eglise.
C’est au contraire afin d’en recevoir la force pénétrante, le sel, la lumière !
La Parole est en effet à proclamer à temps et à contretemps. C’est dans ce temps et ce contre temps que la nouveauté prend sa signification.
Ce n’est pas Paul qui le démentirait.
En 2023, plus que jamais, il nous faut exercer la patience d’enseigner la Parole, mais aussi d’en dire courageusement le signe de contradiction. Paul ne nous promet pas un succès idyllique : « Au gré de leur propres désirs, l’oreille les démangeant, certains s’entoureront de quantité de maîtres. Vers des fables, ils se retourneront ».
Le Carême n’a jamais été un long fleuve tranquille. Je dédie cette conférence à nos frères persécutés dans le monde pour l’aujourd’hui de la Parole.
St Paul nous dit à chacun ce soir : « sois sobre en toute chose, supporte la souffrance, fais œuvre d’évangéliste, remplis ton ministère ».